samedi 16 avril 2011

Food for Thought

La première fois, c’était par hasard. Dans un dédale de rues et de taules, au détour d’une ruelle, coincé sous les rails du train aérien, le Borough Market. A petits pas, on s’en approche, presque à tâtons. Monstre de métal, titan de fer, le marché vert céladon, gueule grande ouverte, laisse entrer un flot de vagabonds.

Après avoir considéré son allure sauvage, c’est en prêtant oreille à son tumulte que l’on tente de se frayer un passage. Plus l’on s’approche et plus le ronflement s’amplifie, plus la bête de métal gronde et s’agite, à coups de crissements et de grincements rauques. Le claquement des caisses vient répondre au battement des couteaux. Bientôt, le grondement devient moins sourd et petit à petit, on peut percevoir le bagou des badauds se fondant dans la clameur des camelots. Quelques foulées encore, et c’est le tintement des sous roulant sur les pavés qui vient se mêler au cliquetis des souliers affolés. C’est maintenant une symphonie toute entière qui emplit l’espace et se bouscule dans nos tympans.

L’espace entier n’est plus emplit que d’une mélodie singulière aux sonorités intrigantes. Le tumulte s’amplifie à mesure que nos pas nous portent vers la bouche de la dame de fer mais c’est bientôt une vague olfactive qui vient mourir dans nos narines. Les sifflets, grincements, apostrophes et autres sonorités s’effacent et laissent placent à un souffle chaud et épicé qui s’engouffre dans notre nez.

Le fumet sucré et caramélisé de la crème brûlée qui refroidit, l’effluve acre et salée des fruits de mer, le doux parfum du pain dont la croute craquèle dans le four, l’odeur épicée et piquante des mets indiens… le tout forme un concerto olfactif pour notre petit appendice. On se surprend à vouloir se laisser emporter par cette marée humaine, dans cette vague sensorielle pour aller se noyer dans ce débordement de sons, de saveurs et d’odeurs.

Comme en réponse à un appel venu du plus profond de notre estomac, les sens se déploient, les narines s’affolent et les papilles frétillent jusqu’à appeler à la bouche tout le sang du cœur. On voudrait aller planter ses dents dans une fraise, écraser contre son palais une pépite de chocolat, happer des lèvres un de ces petits plats qui mijotent, laisser fondre dans sa bouche une bouchée fromage frais…

Le Borough Market ennoblit la carotte et le brocoli, illumine la côte de porc et la légumine. Ancêtre des marchés Londoniens, il nous offre l’appétence universelle, il sert le foie gras à côté du Bubble and Squeack « des pauvres ». On y ressort quelques heures plus tard, la panse pleine et la bourse vide car si une chose est bien sûre, c’est qu’il est impossible d’y faire choux blanc !

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